Manuel de la voile pour les nuls

par Estelle et Anais

Voilà plusieurs enseignements que cette traversée nous a permis d’acquérir. Si vous mettez un jour les pieds sur un voilier, ces quelques leçons vous permettront d’arriver un minimum armé.

1. Un vocabulaire spécifique
Lorsqu’on monte sur un bateau pour la première fois, on se retrouve assailli sous un charabia incompréhensible qui fait peur. Bastaque, halebas, bordure, frein de bôme, bôme, drisse, étai, bosse, cockpit, gaffe, hauban, winch, écoute, pare-battage, guindant etc… Si on ne s’est pas un minimum renseigné avant, on se retrouve vite sous l’eau. Il serait bien trop long de donner ici toutes ces définitions, des bouquins entiers étant consacrés au parler marin. Pour débuter, retenez donc simplement que l’ensemble des « cordes » sont appelés des bouts, le cockpit est le petit salon extérieur d’où l’on manœuvre le bateau et à l’intérieur duquel tout le monde se réfugie lorsque le vent forcit, les winchs sont les petits boitiers circulaires autour desquels on enroule les bouts afin de les étarquer (tirer) et la bôme est l’armature métallique qui permet de tendre la voile à l’horizontale, à fuir au moment des virements de bord car un coût de tête est vite arrivé. Pour le reste, rien ne vaut la pratique!

2. Un nouvel équilibre
Sur un bateau, sous la force des vagues et de la gîte, notre corps est en constante recherche d’équilibre. Les marins disent même qu’on ne peut pas prendre du poids pendant une croisière en bateau car on a beau manger beaucoup, l’effort que le corps doit déployer en permanence pour trouver son équilibre suffit largement à éliminer les calories ingurgitées. Mythe ou réalité? On vous le dira à l’arrivée. Quoi qu’il en soit, si on s’habitue à être balloté en permanence, il faut toujours rester vigilant, et apprendre à vivre à une main, l’autre main devant rester prête à s’agripper en cas de mouvement brusque. Une certaine équipière peu aguerrie s’est retrouvée brûlée au premier degré dès le premier soir, en cherchant à apporter deux tasses de thé dans le cockpit, une dans chaque main. Un mètre plus tard, tout était par terre et ses mains s’en souvenaient. Sur un bateau, les règles ne sont pas imposées au hasard.

3. Un soleil traitre
Lorsque l’on fait de la voile, il faut constamment se méfier du soleil, particulièrement agressif et traitre. En effet, les rayons du soleil, comme au ski sur la neige, viennent se réverbérer sur la mer ce qui les rend beaucoup plus violent. Par ailleurs, le bateau étant constamment en mouvement, on sent toujours un léger vent qui vient nous rafraichir et qui peut vite nous faire oublier qu’on est en train de cramer. Les deux moussaillonnes Estelle et Anaïs toujours partantes pour peaufiner leur bronzage sur le pont se sont faites avoir à plusieurs reprises. Ce genre d’insouciance ne pardonne pas et se fait rapidement sentir au niveau du crâne quand l’insolation pointe son nez, surtout pendant une traversée de l’atlantique où on traverse l’équateur, quand même!

4. Les voiles principales
Un voilier possède deux voiles principales. La grand-voile tout d’abord, sagement rangée le long de la bôme dans son Lazy Jack lorsque le bateau est à l’arrêt, se hisse grâce à la drisse et se borde ou se choque à l’aide de l’écoute de grand-voile. C’est la voile principale du bateau et la première à hisser lorsque les premières pointes de vent se manifestent. Le foc est la principale voile d’avant du bateau, et la seule, en tous cas sur les petits voiliers, qui est sortie de façon permanente. En position repos, le foc est enroulé autour de l’étai, un fil en acier qui relie le haut du mat à l’avant du bateau. On le déplie en étarquant l’écoute de foc et lorsqu’on vire de bord, on tire la contre-écoute et on lâche l’écoute. Enfin, le foc se replie à l’aide d’un système d’enrouleur en bas de l’étai qui s’actionne depuis le cockpit en tirant le bout correspondant, qu’on appelle l’enrouleur de foc.

5. Vent apparent/vent réel
Il faut distinguer le vent réel, dont la force et la direction sont mesurés depuis un point fixe, au vent apparent, qui dépend de la vitesse et de la trajectoire du bateau. Le vent apparent est comme son nom le laisse entendre, le vent ressenti par une personne qui se trouve sur le bateau. C’est aussi ce vent que vont recevoir les voiles, et donc celui auquel il faut s’intéresser pour les manœuvres. Le vent apparent étant le vent ressenti du bateau, sa force est supérieure au vent réel lorsque le bateau a le vent dans le nez et inferieur au vent réel lorsque le bateau avance par vent arrière. Quant à la direction du vent apparent, elle dépend des vitesses du vent réel et du bateau ainsi que de l’angle formé par la direction du vent réel et la trajectoire du bateau.

6. Le réglage des voiles
Des études ont montré que le vent exerce une force maximale sur la voile lorsque sa trajectoire forme un angle de 22 degrés avec cette dernière. Le vent glisse alors de façon laminaire sur la voile ce qui crée une pression à l’intérieur et une aspiration à l’extérieur. La formation d’un tel angle n’est possible que lorsque le vent apparent si situe entre 35 et 90 degrés, car au-delà, les voiles ne peuvent plus être suffisamment lâchées. A l’intérieur de cette fourchette, un autre élément doit être pris en compte. Le vent pousse toujours les voiles selon une trajectoire perpendiculaire à elles. Cette trajectoire peut être divisée en deux composantes : une composante dans l’axe du bateau qui va le faire avancer dans la direction désirée, et une composante perpendiculaire au bateau qui engendre de la dérive. Lorsque le vent est entre 35 et 45 degrés, ce qu’on appelle « au près serré », le foc et la grand-voile sont bordés de façon très serrée le long du bateau, la composante avant est donc faible par rapport à la composante dérive et le bateau, soumis alors à une poussée latérale forte, va giter et avancer de travers. Plus le vent vient de côté, plus il faut ouvrir les voiles. La composante avant va alors de plus en plus s’imposer sur la composante dérive, jusqu’à 90 degrés, au largue, ou l’on atteint la configuration la plus efficiente, qui bénéficie à la fois d’un effet laminaire sur les voiles et d’une composante avant forte. Au-delà de 90 degrés, l’effet sur les voiles n’est plus laminaire mais turbulent ce qui est moins efficace. En revanche, la trajectoire de poussée du bateau devient utile à 100 % en perdant la composante dérive. Il faut alors ouvrir les voiles pour maximiser la surface exposée au vent, ce qui fonctionne jusqu’à environ 150 degrés. Au-delà, les voiles sont moins efficaces et la bôme risque de passer brutalement d’un côté à l’autre (empannage). A moins d’avoir des voiles d’appoint (et encore) ou de s’appeler Roger, ce qu’on vous conseille nous c’est de changer de trajectoire ou de mettre le moteur.

7. Les voiles d’appoint
Plusieurs voiles annexes peuvent être ajoutées aux deux voiles principales. La trinquette est similaire au foc dans son utilisation, mais elle est plus petite et s’enroule autour d’un étai qui relie un point du mat (pas tout à fait le sommet) au pont avant. On la trouve sur les bateaux d’une certaine taille, et étant moins grande et composée d’une toile plus solide et plus lourde que la toile du foc, on l’utilise en substitution de ce dernier lorsque le vent forcit de manière importante. Le genaker est une voile d’appoint que l’on ajoute en la hissant à l’aide de la drisse de genaker jusqu’en haut du mat. L’autre extrémité est tenue à l’avant du pont par un emmagasineur qui permet d’enrouler la voile sur elle-même, économisant par ce biais un étai. Voile plutôt légère, elle s’utilise par un vent faible, d’angle apparent entre 70 et 120°. Enfin, le spi est une grande voile d’avant triangulaire, magnifique lorsqu’elle est déployée mais particulièrement compliquée à hisser et à manœuvrer car elle n’est tenue que par ses trois angles. Elle est donc plutôt l’artifice de marins expérimentés, qui, à l’image d’autres configurations de voiles instables comme le célèbre papillon, s’émerveillent de la voir déployée lorsque, enfin, ça marche!!!

8. La prise de ris
Il est maintenant grand temps de parler un peu sécurité, car un voilier n’est pas un jouet, et lorsque le vent forcit, il faut savoir réagir vite si on ne veut pas se retrouver à partir au lof ou avec une voile déchirée. Le moyen le plus classique de sécuriser son allure lorsque le vent devient trop violent est de prendre un ris. Les ris sont des dispositifs de réduction de la grand-voile, qui permettent donc de réduire la surface exposée au vent et de maitriser son allure. Ils sont au nombre de trois sur la plupart des grand-voiles et se prennent en lâchant un peu la drisse et en tirant la bosse de ris correspondante. La prise de ris fait souvent l’objet de grands débats entre les membres de l’équipage, entre les prudents qui optent pour la sécurité précoce et ceux qui se croient dans une régate et qui refusent de réduire leur vitesse. En moyenne, il est commun de prendre le premier ris à 18 nœuds de vent apparent, le second vers 24 et le dernier vers 28.

9. Le croisement d’un bateau
Enfin pour finir, une grande partie de la transatlantique se passe aussi la nuit pendant les quarts de surveillance. Et pendant un quart, lorsque le vent ne change pas, c’est à dire la plupart du temps, il faut bien l’admettre, on s’ennuie. Un seul petit soubresaut d’activité se manifeste lorsque l’on aperçoit un bateau au loin. Il faut alors être vigilant et s’assurer qu’on ne risque pas de le percuter. En haut du mat de chaque bateau s’allument la nuit ses feux de navigation : lumière verte à tribord et lumière rouge a bâbord. Lorsque l’on croise un bateau, si sa lumière verte colle notre verte, ou si sa rouge colle notre rouge, les deux bateaux marchent en sens inverse il n’y a donc aucun risque. En revanche, dans le cas contraire, il y a risque de collision. Il faut alors prendre le compas de relèvement et effectuer un relèvement a l’œil du bateau toutes les 5 minutes. Si les différents relèvements sont identiques, soit les deux bateaux suivent une trajectoire parfaitement parallèle a une vitesse exactement identique, ce qui est très peu probable, soit ils finiront par entrer en collision. Dans ce dernier cas, il faudra donc tôt ou tard songer à modifier son allure ou sa trajectoire.

Avec tout ça, vous êtes désormais armés pour devenir moussaillons d’un voilier et pourquoi pas, traverser l’Atlantique! Il ne vous reste plus qu’à trainer quelques jours à faire du stop dans la marina de Mindelo ou à vous dénicher des parents un peu fous qui auraient décidé de faire le tour du monde à la voile et c’est gagné! Alors bon vent!

Ce contenu a été publié dans Non classé, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *